MEDIA MEDIUMS 2015-16

UNE COLLECTION DE TEXTES POUR UN LIVRE, UN SITE ET DES PERFORMANCES À L'ÈRE DES ALGORITHMES ET DES ÉCRITURES D’INFRA À EXTRA HUMAINES

Haunted by Algorithms (1) est un ouvrage collectif, qui se compose comme une tentative de délimiter l’humain, en creux, par différents modes d’écriture donnant la parole à une multitude d’entités d’infra à extra humaines.

Média Médiums s’intéressait aux inventions des médias de communication à distance à l’aune de leurs relations avec la spectralité, le retour fantômatique du passé commun des hommes. Au début du 19e siècle de célèbres inventeurs et scientifiques (2) espéraient contacter les morts par leurs découvertes. Nous avons proposé à l’équipe du projet Média Médiums de comprendre, analyser et tisser les fils entre croyances et inventions dans cette période de l’histoire où émerge le début d’une hyper-rationalisation. Depuis la croyance dans les fantômes du 19e siècle s’est progressivement éteinte et l’utilisation massive des ordinateurs et des réseaux a changé la donne. Les spéculations autour des dernières inventions en matière de télécommunication transformeraient nos morts en machines. Les esprits du 19e siècle seraient réincarnés en agents intelligents. A défaut de croire aux fantômes, sommes-nous aujourd’hui hantés par des algorithmes?

Dans le contexte actuel de l’algorithmisation généralisée, nous sommes de plus en plus traversés par des agents intelligents et distribués qui capturent et servent de proxies pour nos émotions, perceptions, humeurs et désirs les plus intimes. Les actes essentiels relevant de notre propre ontologie tels que se nourrir, s'aimer, se loger, se mouvoir, se reproduire sont optimisés, instrumentalisés, monnayés et fluidifiés dans le vaste océan informationnel (3).

Dans le court texte, Comportement, but et téléologie (1942) (4), qui pose les prémices de la Cybernétique, Norbert Wiener, Julian Biglow et Arturo Rosenbleuth, anticipent et théorisent la fusion humain-machine-animal. Les auteurs jettent les bases d'une équivalence radicale entre des systèmes organiques et inorganiques, une analogie instrumentale entre des substrats indifférémment biologique, chimique, métalique, gazeux. Les contours s'estompent. Les enveloppes deviennent poreuses. Les formes se métamorphosent et nos manières de penser se réorganisent autour de nouvelles valeurs - des systèmes, des relations, des connexions, des réseaux. Ici, l'objet en soi importe peu, le sujet non plus d'ailleurs, l'essentiel se trouve dans l'espace interstitiel, dans le flux de la communication, l'échange informationnel et les interfaces déployées à des échelles multiples, du moléculaire à la gouvernementalité inter-planétaire (5).

L’accéleration accrue de ce décentrement copernicien de l'homme dans l'univers ouvre sur un vaste horizon de perspectives non-anthropocentriques. L'intelligence, les sentiments, les affects, l'action, etc. sont attribués autant à des machines qu’à des acteurs non-humains, marginalisant l’être humain au sein d’un nouveau bestiaire, entouré d'autres formes de vie et de subjectivités: des médiums, des animaux, des intelligences artificielles, des capteurs, des smartphones, des systèmes de surveillance, des virus, des bots conversationnels…

Quelle serait l’écriture adaptée à ces perspectives et sensoriums ?

LES DONNÉES ALIENS SONT PARMIS NOUS

L'écriture produite par des humains n'est plus grand chose en termes de quantité à côté de celle générée chaque jour par des algorithmes. L’écriture automatique est devenue une affaire de dizaines de millions de Twitterbots. Pour le poète Kenneth Goldsmith, “L’écrivain d’aujourd’hui ressemble plus à un programmeur qu’à un poète maudit, il conceptualise, construit, éxecute et entretient une machine d’écriture. [...] Peut-être que les meilleurs écrivains seront ceux qui composeront les meilleurs programmes pour analyser, manipuler et distribuer des pratiques à base de langage. Même si, comme proclame l’auteur Christian Bök, la poésie du futur sera écrit par des machines pour des machines.” (6)

LA LISTE DES LISTES DE FANTÔMES ET LEURS SOUS-CATÉGORIES

Si nous vivons dans une société qui cherche à éliminer le contingent, à optimiser les traces, à calculer nos gestes comme nos pensées dans une transparence absolue, nous proposons de s’emparer des absurdités de l’algorithmisation du monde, de cibler la rationalisation à outrance là où elle excelle (7), c’est-à-dire dans l’interopérabilité de “ce qui fait language” : Jusqu’où ira t-on dans les actes de référencer, calculer, rythmer, ordonner et classer jusqu’à l’inclassable ? Jusqu’à quel point peut-on lister l’impossible et sous-catégoriser l’indicible?

EXTENSION DU DOMAINE DE L’HUMAIN

Les écritures algorithmisées étendent le domaine du vivant au registre du communicationnel: des objets aux animaux en passant par les végétaux, les minéraux et les planètes (8). Quel serait le langage des microbes, des smartmobs, des essaims ? (9) Comment dialoguer avec les plantes ? (10) Parler avec Dieu ? (11) S’entretenir avec un défunt ? (12) Converser avec les chatons ? (13) Entendre les pierres ? (14) Même la parole des morts (15) est potentiellement soluble dans un langage commun alphanumérique (16).

Haunted by Algorithms est un projet de collection de textes dont les participants prennent le rôle de commissaires, chercheurs, artistes/écrivains, collecteurs des algorithmes des écritures extra-humaine… Nous proposons le rôle de chasseur de l’absurde, de braconnier des “fantômes cachés” en quête des points aveugles de l’algorithmisation du monde.

 

(1). A apparaître aux Presses du réel, en deux volumes, en anglais et en français.

(2). Voir Thomas Edison et la fabrique des machines à fantômes de Philippe Baudouin, Pierre Curie et les sciences psychiques de Renaud Evrard, Haunted Média de Jeffrey Sconce, Voice Signatures de Jeff Guess et Télépathie interstellaire de Gwenola Wagon dans le cadre du projet Média Médiums

(3). Éric Sadin, L'humanité augmentée : L'administration numérique du monde, Paris, L'échappée, 2013.

(4). Norbert Wiener, Julian Bigelow et Arturo Rosenblueth, Comportement, but et téléologie, in Aline Pélissier et Alain Tête, Sciences cognitives : textes fondateurs (1943 – 1950), Paris, PUF, 1995.

(5). Antoinette Rouvroy, Le corps statistique, 2009.

(6). Kenneth Goldsmith, Uncreative Writing, Managing Language in the Digital Age, Columbia University Press, 2011

(7). Les agrégateurs de contenus, trieurs d'informations, moteurs de recherche orchestrant le langage et donnant matière à poésie.

(8). Des plantes aux aliens, que faire de ces codes qui sans cesse reviennent dans le champs de l'écriture? Que deviennent ces communications interceptées par l'être humain ?

(9). Eugene Thacker, Biophilosophy for the 21st Century, 2005

(10). Martin Howse, Radio mycelium, 2013

(11). http://www.templeos.org

(12). http://eterni.me

(13). https://itunes.apple.com/fr/app/traducteur-en-langage-chat/id464511058?mt=8

(14). Référence au film World Brain sur la communication animale, végétale et animal dans le chapitre Le Rêve des rats posthumains ainsi qu’à la conférence Ubiquité de la crassula de Jean-Louis Boissier dans le cadre de l’exposition Média médiums.

(15). Be Right Back, Black Mirror, Season 2 Episode 1

(16). Kenneth Goldsmith explique dans Uncreative writing à propos du projet Status Update (2009) de Darren Wershler and Bill Kennedy: “Un algorithme de data-mining ratisse les réseaux sociaux, collectionne les mises à jour des posts des utilisateurs croisés en cours de route. Le moteur enlève le nom d’utilisateur pour le remplacer aléatoirement par celui d’un auteur mort.”# […] “Wershler et Kennedy semble émuler ce que le mathématicien, Rudy Rucker, appèlle une “lifebox”, un concept futuriste où l’accumulation de toutes les traces de sa vie en ligne (status, updates, tweets, mails, articles de blog, commentaires dans les forums, etc.) se combinent avec un programme de conversersation entre les vivants et les morts de manière pertinente et crédible."

 
 
 

MÉDIA MÉDIUMS

Responsables : Jeff Guess et Gwenola Wagon

Equipe : Jean-Philippe Antoine, Jean-Louis Boissier, Stéphane Degoutin, Galdric Fleury, Antoine Fontaine, Jean-Noël Lafargue, Julien Prévieux, Noah Teichner et Anne Zeitz

Média Médiums, qui se réalise dans le cadre du Labex Arts-H2H est un partenariat entre l'École Nationale Supérieure d’Arts Paris-Cergy et son espace d’exposition Ygrec, l'Université de Paris 8, Les Archives Nationales et l'EnsadLAB de l'École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris.

Un séminaire regroupe les étudiants des deux cours, Communication protocols: technology and the spirit world (Jeff Guess, ENSAPC) et "Histoires de Fantômes et de Machines” (Gwenola Wagon, Paris VIII) et est le lieu de conférences sur les télécommunications et les sciences spirites ouvertes au public.

En 2014 nous avons organisé une exposition à la galerie Ygrec (4 avril-31 mai 2014). Elle était accompagnée de quatre événements - conférences, concerts, performances, discussions, et démonstrations. Nous avons aussi créé une collection de 20 livres sur les thématiques du projet.

Une publication Haunted Algorithms est prévue en 2016 aux Presses du Réel, en deux volumes, français et anglais. En lien avec la sortie du livre, des événements sont prévus à Cerisy, France et peut-être ailleurs en 2016.

 

 
 
 

MEDIA MEDIUMS 2013-14

Télégraphe Chappe. Illustration parue dans «Les merveilles de la science», Louis Figuier, 1868.

Transmission à distance

Le projet de recherche Média Médiums (1) est axé sur l’histoire de la transmission à distance et comprend deux objets d’étude : premièrement, toute une série d’objets techniques, de machines et d’appareillages actualisés ou simplement imaginés qui ont comme principe fondateur le transport d’informations, et deuxièmement, des phénomènes beaucoup plus mystérieux et moins connus tels la télépathie, la télékinésie ou la téléportation.

Les deux objets d’étude pourraient sembler, de premier abord, opposés, l’un relevant d’un milieu technique voire industriel qui prend appuie sur une extrême rationalisation et trouve son ancrage dans la méthode scientifique et ses champs théoriques et appliqués : la physique, la chimie, l’éléctro-mécanique, etc. L’autre tend à s’attacher à ce qui est inexplicable, «à des phénomènes aberrants par rapport à notre fonds culturel de vérités admises... qui vont à l’encontre du sens commun ou du savoir institutionnalisé (scientifique ou religieux)» (2), se rangeant du côté de l’occulte, du spiritisme et du paranormal.

Le préfixe “télé-”, qui signifie “à distance”, tend paradoxalement à les relier, à les faire communiquer. Mais cette proximité n’est pas uniquement lexicale. Ainsi, par exemple, le vocable “télévision”, était, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, un nom synonyme de clairvoyance dans les cercles spiritistes. «Les clairvoyants réceptifs étaient capables de transcender l’espace et le temps. Ils pouvaient décrire d’anciens édifices ou des objets avec tant de précision et de détails qu’il en allait comme s’ils disposaient de la pièce et de l’objet devant leurs yeux» (3). En même temps, la “télévision” était un des noms, parmi des dizaines déployés dans des milieux techniques qui permettaient de spéculer sur tout un horizon d’objets à venir.

 

John Baird travaillant sur sa caméra en vue de la première transmission broadcast de la télévision.[Courtesy Thierry Magis, Belgium]

 

Télé-dispositifs 

Téléphonoscope, Téléctroscope, Phonotéléphotographe, Téléchromophotophonotétroscope, Téléphote, Télescope électrique, etc. Tous ces noms, décrivant des objets réels ou fictifs, témoignent d’une intermédialité à la fois discursive et matérielle. L’invention est toujours plurielle, un assemblage d’énoncés et de matériaux, de discours et d’actualisations, une remédiation de spécifications et de technologies antérieures, une hybridation inédite et finalement nouvelle. Pour notre projet, nous cherchons à retrouver la singularité de chacune de ces occurrences individuées, qu’elles soient de l’ordre d’énoncés fictifs ou vulgarisateurs, de spécifications et brevets de projets non-réalisés, de concrétisations qui n’ont pas pu négocier leur place sur le marché, etc. Chacun de ces agencements singuliers décrit un dispositif bien particulier, qui met en relation de manière unique, un appareillage, un sujet percevant et une représentation.

La série des dispositifs de transmission à distance, ou télé-dispositifs, concept particulièrement utile développé par François Albéra et Maria Tortajada (4), qu’ils soient technologiques ou médiumniques, partagent un certain nombre de traits, notamment un télescopage radical de l’espace et du temps, qui se manifeste sous forme d’une co-présence, et une imbrication immédiate et simultanée d’une information distante dans le tissu de l’ici et maintenant du sujet percevant. Cette superposition spatio-temporelle d’une pensée, d’une image, ou d’une voix venues d’ailleurs était déjà présente dès la fin du XIXe siècle via différentes manifestations du télégraphe avec ou sans fil, du fax (le bélinographe), ou du téléphone. Elle participe à tout un imaginaire spectral et magique (5) qui semble accompagner chacun des nouveaux dispositifs de la transmission à distance. Chaque contexte historique donne, selon ses spécificités sociales, économiques, culturelles, et politiques, une inflexion particulière aux éléments fondamentaux de la définition des télé-dispositifs (co-présence, d’immédiateté, simultanéité, etc.) et à l’imbrication des technologies, des discours et des corps.

 

Le télégraphe celeste, 1853. Partridge & Brittan in New York . En 1854, un groupe de Spiritualistes ont demandé au Congrès américain l'argent pour reproduire le télégraphe de Morse avec la possibilité de parler aux spirites par télégramme.

 

Objets de science-fiction

Plus proche de nous, la théorisation de la machine universelle d’Alan Turing dans les années 30 a créé les conditions de possibilité pour l’actualisation d’une longue série de machines numériques depuis les années 40, qui, au vue de leur complexité et de leur abstraction importante, de l’immatérialité et de la virtualité des informations transportées, voire de leur impénétrabilité magique, sont devenues le lieu de nouveaux imaginaires, de nouvelles métaphores.

Dans les discours des milieux techniques qui ont accompagné et qui ont été, par rétroaction, nourris par ces nouvelles machines (en particulier la théorie de l’information et la cybernétique), la transmission à distance (la communication) s’est vue formalisée en modèles mathématiques. Claude Shannon et Warren Weaver, s’appuyant sur l’exemple de la télégraphie, décrivent le système de transport d’informations des plus efficaces, c’est à dire, dont l’équation équivaut au moins de bruit et de parasites possibles contre le maximum d’informations transmises - formalisation qui a permis l’essor des télécommunications.

Nobert Wiener, dans son manifeste Cybernétique et Société : l’usage humain de l’être humain, va un peu plus loin vers une dématérialisation intégrale via les possibilités des encodages perfectionnés. Pour lui, l’information se résumait à un pattern signifiant qui s’opposait à la tendance naturelle vers l’entropie et le désordre total. Ceci l’amène à penser qu’ «un pattern est un message, et pourrait être transmise en tant que message. Comment utilisons-nous la radio si ce n’est pas pour transmettre des patterns de sons, et la télévision, des patterns de lumière? Il est amusant ainsi qu’instructif de considérer ce qui adviendra si l’on transmettait le pattern entier du corps humain, du cerveau humain avec ses souvenirs et connexions en réseau, pour qu’un instrument de réception hypothétique puisse réincarner ces messages dans une matière appropriée, capable de continuer les processus déjà présents dans le corps et l’esprit, et de maintenir l’intégrité nécessaire pour cette continuation via un processus d’homéostasie.» (6) Et plus tard de déclarer: «Il n’y a pas de distinction absolue entre les types de transmission que nous pouvons employer pour envoyer un télégramme de pays en pays et les types de transmission, qui sont au moins théoriquement possible, pour transmettre à distance un organisme vivant tel un être humain». (7) Ce texte spéculatif d’un des plus grand penseurs et excentriques de notre ère pose depuis le point de vue de l’avant-garde de la science de son époque, un des problèmes cruciaux de notre enquête, celui des instruments hypothétiques, et de la croyance en des assemblages d’énoncés, de machines, et d’usages que l’on pourrait considérer comme de véritables objets de science-fiction.

 

Neuroscientifiques reconstruisent les expériences visuelles par l’utilisation de fMRI. Reconstruction de l’activité du cerveau. UC Berkeley. 2011.

 

Spéculations - De la transmission à distance à la télépathie

Dans l’introduction de leur anthologie de textes, New Media 1740-1915, Lisa Gitelman et Geoffrey B Pingree évoquent plusieurs figures futurologiques, dont celle d’ « une transparence croissante, la présupposition que chaque nouveau média opère encore moins de médiation, qu’il réussit à “libérer” l’information des contraintes des formes de média antérieurs, moins adéquat voire “non-naturel”, qui représentaient le réel avec moins de perfection. Cette notion - étant donné leur plus grande transparence, les nouveaux médias supplanteraient leurs prédécesseurs - détermine à la fois l’expérience et l’étude des médias aujourd’hui. » Cette figure pointe « une idée fausse fréquente et partagée, celle qui suppose la valeur et la (au moins théorique) possibilité de l’acheminement pur d’information, des conduits qui permettent le passage d’informations sans interruption ou interférence - sans médiation. » (8)

Céline Lafontaine dans l’Empire Cybernétique, des machines à penser à la pensée machine, fait état des possibles dérives d’un totalitarisme informationnel engendrant le décryptage de ce qui compose le vivant. “Que le caractère globalisant du modèle informationnel ait pu remettre radicalement en cause les fondements de l’humanisme moderne, voilà bien ce qui n’aurait pas manqué de surprendre Wiener lui-même. A nous maintenant de veiller à ce que son héritage n’ensevelisse pas complètement la civilisation qui l’a précédé, mais que celui-ci en conserve plutôt les soubassements essentiels afin qu’on puisse encore et toujours rester humains.”(9)

Progressivement cette volonté de savoir s’accompagne de recherches sur l’exploration et le décryptage du fonctionnement du cerveau humain et, dont les transmissions d’information pourraient à terme se passer des média de communication. Voir à travers le cerveau, décoder la pensée, la transmettre et la recevoir instantanément sans avoir le temps de formuler… autant d’hypothèses qui ressemblent à des scénario de science–fiction et semblent irréalisables. La transmission de pensée demeurait opaque et incontrôlable. La “pensée” restait le seul terrain vierge puisqu’elle n’avait

jusqu’alors ni été scannée ni analysée, mais seulement appréhendée par des instruments de mesure qui essayaient d’en comprendre le fonctionnement sans parvenir à l’atteindre.

Il semblait alors impossible d’imaginer accéder au cerveau de l’autre et de le comprendre, autrement que par les moyens usuels de communication. Pourtant plusieurs recherches scientifiques (10) émettent aujourd’hui l’hypothèse inverse et tendent à prouver la possibilité d’une certaine “visualisation” de la pensée, soit par exemple d’une visualisation d’une image en train de se former dans le cerveau. Cette connaissance, impossible jusqu’alors, ces recherches, même si elles sont encore à l’état de balbutiement, amènent un tel changement de perspective et une telle transformation (remise en question de l’intériorité, de l’autonomie du sujet pensant), qu’il semble nécessaire de les interroger sous un angle critique tout en leur donnant une perspective historique et philosophique.

Une des pistes est l'histoire des relations entre média et médiums.

 

Restitution sous forme d’enregistrement sonore de l’activité cérébrale. Adeen Flinker/UC Berkeley.

 

(1). Média Médiums est un clin d’œil au premier chapitre, Mediums and Media, du livre de Jeffrey Sconce, Haunted Media: Electronic Presence from Telegraphy to Television, Duke University Press Books, 2000.

(2). Marcello Truzzi cité dans le texte de Pierre Apraxine et Sophie Schmit, La Photographie et l’Occulte in Clément Chéroux, Andreas Fischer, Pierre Apraxine, Denis Canguilhem, Sophie Schmit, Le Troisième Œil - La Photographie et l’Occulte, Paris, Gallimard, 2004.

(3). Stefen Andriopoulos, Télévision Psychique, p. 62, in Mireille Berton et Anne-Katrin Weber eds., La Télévision du Téléphonoscope à Youtube, Paris, Antipodes 2009.

(4). François Albéra et Maria, Tortajada, Prolégomènes à une critique des “télé-dispositifs”, in La Télévision du Téléphonoscope à Youtube, op. cit., p. 36-37.

(5). Jeffrey Sconce, Haunted Media..., op. cit.

(6). Norbert Wiener, The Human Use of Human Beings, Da Capo, 1950, p. 96.

(7). Norbert Wiener, op. cit, p.103.

(8). Lisa Gitelman et Geoffrey B Pingree, New Media 1740-1915, Cambridge, MIT Press, 2003, p. xiii.

(9). Céline Lafontaine dans l’Empire Cybernétique, des machines à penser à la pensée machine, Paris, Seuil, 2004, p. 224-225.

(10). Georges Smoot III et Jonathan Regier, Kodak Moment à Total Recall, Huffington Post, 6 mars 2012.